Président du Comité national pour la promotion de l’œuf, l’interpro’ de la filière et éleveur dans la Drôme, il nous parle des évolutions nécessaires des élevages face aux attentes sociétales.
Une à une, les enseignes bannissent les œufs de poules en cage. 68% des poules pondeuses sont encore élevées ainsi. Comment les éleveurs peuvent-ils s’adapter alors qu’ils ont déjà investi pour s’adapter à la réglementation européenne de 2012 ?
Je voudrais rappeler que pour se mettre aux normes avant 2012, la filière a investi près d’un milliard d’euros. Nous avons fait cette mise aux normes pour se mettre en conformité avec la réglementation européenne et pour répondre à la demande de nos clients : l’industrie, la restauration et la grande distribution. Nous n’avons pas mené ces mises aux normes sans y réfléchir. En 2013, la filière a connu une crise importante de surproduction. Nous avions alors réalisé un audit avec le Conseil général de l’agriculture et deux agents du CGAER (Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux). Cet audit montrait une évolution de la demande des consommateurs aux sujets des modes d’élevages. Les œufs bio et plein air étaient plus demandés. Nous avons engagé un travail de prospectives avec nos partenaires et aussi, avec des ONG comme CIWF (Compassion in world farming) pour élaborer plusieurs scénarii possibles en retenant ce qui était le plus probable. Avec la montée en puissance des ONG contre les poules en cage, nous avons décidé de mettre rapidement des initiatives en place. Nous avons travaillé sur le contrat d’avenir sociétal. Nous avons 68% de poules en cage. Nous avons calculé que compte tenu de la situation de nos élevages, notamment leur situation d’endettement, nous pouvions faire évoluer 50% des exploitations à horizon 2022 en productions alternatives à la cage, c’est-à-dire plein air ou bio. Nous avons présenté ce travail à l’automne 2016 devant le ministre de l’Agriculture, à nos partenaires, que sont l’industrie, la restauration hors domicile, la grande distribution et aussi, les banques, car ces dernières regardent de près ces évolutions du fait des encours de prêts dans la filière.
Nous avons choisi d’appeler cette initiative un contrat car, en 2012 déjà, nous avions évolué à la demande de nos partenaires. Par ailleurs, les éleveurs investissent sur des durées d’amortissement de 12 à 15 ans. Nous avons besoin d’avoir de la visibilité. On ne peut pas remettre en cause des modes d’élevage ou nos installations tous les cinq ans ! Nous avons besoin d’un contrat avec nos partenaires et d’un coup de pouce. En effet, sur 47 millions de poules, 32 M sont en cages aménagées. Si nous voulons arriver à 50%, il faut faire évoluer le mode de logement et de production de 10M de poules. C’est un investissement colossal. Donc nous avons besoin d’un coup de pouce de l’aval, car c’est leur demande et celle de l’opinion.
Quel est le niveau d’endettement actuel des élevages ? Il est situé en moyenne à 9,50 € par poule.
Craignez-vous que des exploitations mettent la clé sous la porte ? C’est un risque. Sans doute, certains éleveurs partant à la retraite ne trouveront pas de repreneur ou difficilement. Nous voulons éviter que des agriculteurs mettent la clé sous la porte, c’est pourquoi nous essayons de trouver des solutions pour leur permettre de faire évoluer leurs élevages.
Quels sont les risques encourus par la filière ? Aujourd’hui, la filière produit 101% de ce que les consommateurs achètent. Le risque si nous ne trouvons pas d’accord avec nos partenaires est que des bâtiments s’arrêtent et qu’il y ait une rupture d’approvision-nement. Quand la grande distribution affiche sa volonté de passer à 100% d’œufs en alternatif, elle oublie que la filière française avec seulement 32% des poules en système alternatif ne peut répondre à cette demande du jour au lendemain. Je pense que les enseignes ont voulu répondre à la pression des ONG. Mais selon moi, elles ont fait un mauvais calcul, car ces ONG ne les lâcheront pas ! Elles ont pris un gros risque. Elles ne pourront pas importer non plus, car les échanges mondiaux d’œufs ne sont que de 5 %, aucun pays d’Europe ne produit que des œufs de plein air et, surtout, les pays produisent essentiellement pour leur marché intérieur.
En plus des efforts d’investissements matériels, faudra-t-il mettre en œuvre des actions de formation ? La formation est aujourd’hui centrée sur les questions sanitaires, mais nous voulons mettre en place des formations sur le bien-être animal et les conduites des élevages. Il faudra peut-être la compléter pour permettre aux éleveurs de s’adapter à de nouveaux modes de production.
Allez-vous accélérer la mise en place du contrat sociétal d’avenir ? Nous voulons que l’ensemble de nos partenaires signe ce contrat. Nous voulons que nos clients, qui ont des exigences en matière de modes d’élevage, nous apportent un coup de pouce sur les cinq ans à venir pour transformer les bâtiments, et aussi qu’ils s’engagent sur la reprise des œufs sur le moyen et le long termes. Nous voulons également un engagement de nos partenaires banquiers car, s’il faut réinvestir, il faudra sans doute accompagner les éleveurs sur des cautions mutuelles. Nous allons travailler avec la Siagi, et sans doute comme nous l’a suggéré Stéphane Le Foll avec la BPI. Enfin, le ministère de l’Agriculture s’est engagé à inscrire le plan poules pondeuses dans le cadre du PCAE (plan de compétitivité et d’adaptation des exploitations agricoles). La FNSafer s’est engagée à trouver le cas échéant des réserves foncières pour les élevages en plein air, car elles sont très gourmandes en surfaces agricoles. Il faut compter 4 m2 par poule. Nous sommes encore en négociations avec la grande distribution, l’industrie et la restauration pour signer un contrat qui nous l’espérons sera finalisé au premier semestre 2017.
Est-ce que la filière a mal anticipé l’évolution des attentes sociétales ? Nous avons eu cette exigence réglementaire qui nous a occupés et ne nous a pas permis de réfléchir suffisamment à cette demande sociétale, mais dans le même temps, nos partenaires nous pressaient de nous mettre aux normes sur les cages. Leur demande n’allait pas forcément non plus dans le sens de l’élevage alternatif. La responsabilité est collective. Il faut se rappeler que, dans la grande distribution, 56% des œufs sont vendus en marque distributeur avec un cahier des charges propre à chaque enseigne.
Y a-t-il une leçon à tirer pour d’autres filières ? Le CNPO est une interpro’ courte. Elle regroupe cinq familles. Je pense qu’à l’avenir, nous devons davantage travailler avec nos partenaires, nos clients pour être plus proactifs pour anticiper les évolutions sociétales que nous vivons aujourd’hui. Cela est valable pour toutes les filières agricoles. Pour répondre aux attentes sociétales, il faut faire des investissements que les agriculteurs seuls ne pourront pas réaliser sans un contrat tripartite qui leur permet de capter plus de valeur ajoutée et de faire face à ces évolutions. Cela me paraît indispensable pour donner davantage de sens aux interpro’ longues.
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