Ils sont quarante et réinventent le sainfoin, culture fourragère agroécologique par excellence, dans une filière maîtrisée par les producteurs. En Champagne crayeuse, un groupe d’agriculteurs fait revivre le sainfoin. Ou plutôt réinvente cette légumineuse fourragère oubliée lors de l’intensification de l’agriculture.
Installé à Rhèges, au nord de Troyes (Aube), Jean-Eudes Feron est l’un d’eux. Avec 260 ha de céréales, colza, betteraves et pommes de terre, son exploitation est typique de cette terre de grandes cultures. Ce qui l’est moins, ce sont ses 23 ha de sainfoin.« Avant, je cultivais de la luzerne, raconte-t-il. Je trouvais logique de remplacer cette culture par une autre légumineuse. » L’usine de déshydratation d’Arcis-sur-Aube (à laquelle il livrait sa luzerne) a fermé en 2010. Un petit groupe cultivait déjà du sainfoin – une soixantaine d’ha à l’époque- et s’est pris en main pour retrouver un débouché. Ainsi sont nées en 2011 la société Multifolia (qui commercialise des granulés de sainfoin), puis en 2015, la coopérative Sainfolia (qui regroupe les producteurs de sainfoin).
Le but de cette filière créée de A à Z par les agriculteurs ? Produire des granulés de sainfoin pour l’alimentation du bétail. Riche en tannins condensés, ce fourrage d’excellence aide les animaux d’élevage à lutter contre les parasites. Or, les résistances aux antiparasitaires de synthèse progressent. Mais ce n’est pas tout : appétant, très digestible, équilibré en énergie et protéines, il réduit les émissions de méthane des bovins et n’est pas météorisant. Une véritable « plante aux mille vertus», pour la vice-présidente, Christelle Caillot. Même l’origine de son nom en témoigne : le « saint foin».
Une culture à bas intrants. Mais revenons à Jean-Eudes. Il a rejoint l’aventure en 2014 en plantant sa première sainfoinière. « Le sainfoin s’implante en été comme une luzerne, début juillet, après la moisson d’escourgeon », explique- t-il. Le céréalier de 39 ans s’est vite rendu compte que cette culture ne manquait pas d’atouts. Cette légumineuse capte l’azote atmosphérique et « laisse 50 unités d’azote dans le sol» pour la culture suivante. Culture à bas intrants, elle nécessite très peu d’engrais et de traitements phytos. Les insecticides sont à proscrire, le sainfoin étant une plante mellifère ! Par ailleurs, Sainfolia a installé 400 ruches et produit du miel de sainfoin, fin et délicat, idéal pour la cuisine. Autres avantages : ses racines travaillent le sol, laissant une terre fine. Le sainfoin reste vert et couvre le sol tout l’hiver. Ce qui en fait un refuge de choix pour le gibier, qui «trouvé sa pharmacie», plaisante Christelle Caillot.
Une sainfoinière reste en place deux ans pour trois coupes par an (fin avril, début juillet et fin août). Ces trois récoltes donnent en moyenne 10 t MS/ha (une fois la plante déshydratée). « Nous cherchons la qualité plus que la quantité : le but est d’obtenir une récolte homogène en tannins.» Avec un prix stable de 100 €/t MS, le sainfoin dégage une marge brute de 6 à 800 €/ ha. « Un niveau honorable comparé à un blé par exemple», note Jean-Eudes. Mais avec un coût de production qui rase les pâquerettes.
Domestiquer cette plante « capricieuse». « Le sainfoin est une plante de terres pauvres», résume le cultivateur. Il se plaît dans les sols très calcaires et « ne répond pas à l’engrais ». C’est pour cela qu’il a été supplanté par la luzerne qui, elle, produisait plus en présence de fertilisation. Résultat : après des décennies d’intensification, le fourrage miracle avait presque disparu. Pourtant, « ici, avant, c’était 80 % de sainfoin !», s’exclame Pascale Gombault, l’énergique présidente de Sainfolia. Élue à la chambre d’agriculture de l’Aube, elle « ne supporte pas la division entre éleveurs et céréaliers». Avec le sainfoin, elle a trouvé « une culture agroécologique» et « le moyen de produire quelque chose d’intelligent pour les éleveurs».
Reste encore à domestiquer cette plante « très capricieuse». « Avec cette culture, si on n’écoute pas la nature, elle se rappelle à nous tout de suite !», lance Jean-Eudes. Lui plaide pour « le retour à la réflexion agronomique». « Nous devons tout réapprendre», confirme Christelle Caillot. Les qualités alimentaires du sainfoin sont bien connues des chercheurs, mais pas sa culture. En lien avec la communauté scientifique, les adhérents de Sainfolia explorent cette production. La belle histoire du sainfoin ne fait que commencer.
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