On parle beaucoup de technologies dans l’agriculture, est-ce réellement une tendance récente ? Cette tendance n’est pas récente. Dans les années 1980, nous avons vu apparaître les premiers robots de traite et chaque étape a marqué une avancée importante pour le monde agricole.
Toutes ces évolutions n’ont été possibles que grâce aux progrès de la recherche, qui ont été constants en agriculture. Mais si ce mouvement est présent depuis longtemps, nous assistons aujourd’hui à une accélération des innovations. Ainsi, la numérisation et le développement des technologies de l’information et de la communication, l’intelligence artificielle, la robotisation sont autant de nouvelles technologies qui impactent l’ensemble des activités humaines et donc l’agriculture. Ces technologies, qui permettent de mieux maîtriser les intrants, de pouvoir introduire des itinéraires techniques plus complexes tout en soulageant le travail des agriculteurs, vont contribuer à répondre à l’objectif de produire plus et mieux.
La numérisation déshumanise-t-elle l’agriculture ? Au contraire, la numérisation est favorable aux agriculteurs. Elle contribue à redonner de l’attractivité aux territoires ruraux et au métier d’agriculteur en permettant de rompre l’isolement par l’accès à une multitude de services. Elle facilite également le mode de vie des agriculteurs, en contribuant au développement d’outils qui facilitent les décisions qu’ils doivent prendre, en allégeant les tâches quotidiennes pénibles, leur permettant ainsi de dégager du temps, elle permet aussi le développement des réseaux sociaux et l’émergence de nouveaux modes d’organisation entre agriculteurs.
En quoi le digital influe-t-il sur l’agriculture ?
Comme pour toute l’économie, l’agriculture entre dans l’ère du numérique et du big data. On assiste à la multiplication du nombre de capteurs et d’objets connectés, qu’ils soient fixes dans les parcelles ou les bâtiments, ou mobiles sur les agroéquipements, les personnes ou les animaux d’élevage. Les informations ainsi collectées complètent celles fournies par les satellites, la météo, etc. et celles des fournisseurs et partenaires des exploitations. La conjonction du développement de ces technologies d’acquisition massive de données, des capacités de stockage et de traitement informatique rend possible l’émergence d’outils d’aide à la décision (OAD), simples d’utilisation et rapides, améliorant la précision et la pertinence des interventions. On peut adapter les doses d’intrants, l’eau, les fertilisants, les pesticides ou produits vétérinaires et les modes d’application et d’intervention en jouant sur la répartition spatiale, les dates d’intervention… Mais nous pouvons aussi, par l’exploitation de ces données envisager d’importantes évolutions dans la couverture de risques, le financement, le choix des itinéraires techniques, des produits et de leur valorisation.
Pourriez-vous m’expliquer en quoi consiste le portail de données agricole dont vous avez la charge ? Lors de l’élaboration du rapport Agriculture innovation 2025, l’importance de l’exploitation des données numériques a été mise en avant.
Un des problèmes cruciaux posés est la propriété et le contrôle des données produites par les agriculteurs. Il conditionne la répartition de la valeur dans la chaîne économique. Il y a un risque de voir se développer, si nous ne sommes pas sur nos gardes, un marché des services d’e-agriculture contrôlé par les multinationales de l’agro-fourniture ou du numérique. Il fallait donc la mise en place d’une gouvernance partagée des données entre les agriculteurs et les autres acteurs économiques pour s’assurer du développement de services répondant aux besoins des multiples systèmes de production qui existent dans notre pays.
Ce portail, dont la gouvernance devra être assurée par le monde agricole, a pour vocation de structurer et de mettre à disposition différents types de données à vocation agricole : données publiques ouvertes, géoréférencées (topographie, météo, pédologie, artographie, données expérimentales de centres de recherche…), sanitaires et économiques et données privées (issues des agriculteurs ou d’autres acteurs économiques, notamment les fournisseurs et les équipementiers). Le fondement du système reposant sur le partage des données et la confiance que pourront avoir les agriculteurs sur la bonne utilisation de leurs données. Il faudra veiller aux garanties qui seront apportées sur les conditions d’utilisation et les questions de propriété des données, de sécurité incluant bien sûr l’anonymisation. Les données de cette plate-forme seront accessibles sous conditions, aux acteurs de la recherche et aux acteurs économiques : industrie de l’agroéquipement, services à l’agriculture, édition de logiciel, conseil agricole, coopératives, banques, assurances… pour favoriser le développement de nouveaux OAD, d’applications smartphone, de services innovants et de solutions techniques au service des agriculteurs.
Une ubérisation de l’agriculture est-elle possible ? L’ubérisation vise un modèle de désintermédiation permettant la remise en cause de systèmes économiques en place. L’apparition de nouveaux services numériques portant sur le conseil des agriculteurs, de nouvelles sources de financement comme le crowdfunding avec la start-up MiiMOSA, de nouvelles voies de partage des agroéquipements avec WefarmUp, de commercialisation directe avec monpotager.com vont tout à fait dans ce sens et en la matière le secteur agricole est un secteur économique comme les autres.
Les instituts de recherche tels que celui que vous dirigez se tournent-ils de plus en plus vers le numérique ? À l’Irstea, nous effectuons des recherches dans le domaine des Technologies de l’information et des communications, notamment sur les capteurs, la télédétection et les outils d’aide à la décision. Nous intervenons également dans le domaine de l’agroéquipement, principalement sur l’épandage, la pulvérisation, l’irrigation, la robotique, et aussi sur la valorisation des déchets organiques. L’ensemble de ces travaux ont un fort lien avec le numérique.
Le projet Crocus, est un travail sur la mise au point de capteurs reliés entre eux permettant de mesurer l’état du couvert végétal. Il est caractérisé par deux paramètres : la réflectance (proportion de lumière réfléchie par un matériau) et par la transmittance (quantité de lumière traversant la végétation). Chacun des capteurs transmet ensuite les données récoltées à une plate-forme centrale. Le projet Rhea se caractérise par l’utilisation de drones munis de capteurs embarqués. Ils sont utilisés dans le cadre du traitement chimique et physique des plantes indésirables. Les drones permettent de faire une vue d’ensemble des parcelles et de réaliser des images afin, notamment, de déterminer les zones à traiter. D’autres robots sont envoyés sur les parcelles afin d’assurer le traitement des zones spécifiées. Le but de ce projet est de cibler les traitements afin d’être plus efficace.
Selon vous, l’innovation rime-t-elle toujours avec compétitivité ? L’agriculture doit être innovante si elle veut rester compétitive et durable à l’avenir. Face aux défis, du changement climatique, de la croissance de la population mondiale, de la transition agro-écologique, de la bioéconomie, de nombreuses innovations tant technologiques qu’organisationnelles sont attendues et c’est que nous avons résumé dans « les trente projets pour une agriculture compétitive et respectueuse de l’environnement » du rapport Agriculture innovation 2025.
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