La montée en gamme, c’est le credo de Camille Poulet, qui vient de rejoindre son père sur l’exploitation familiale. Au programme : récolte à maturité, embauches et conversion en bio.
En sortant de la départementale, un chemin de terre cahoteux mène jusqu’à un hangar fraîchement construit. Face à lui, une quinzaine de serres sagement alignées contemplent le massif des Alpilles. Bienvenue à l’EARL Les Demoiselles. C’est Jacques Poulet, sans famille dans le métier, qui a créé cette exploitation en plein cœur du bassin maraîcher et arboricole provençal. Le 3 janvier 2017, sa fille Camille s’est installée pour perpétuer l’aventure familiale. Son projet ? Prendre la main d’ici cinq ans pour offrir à ses parents les vacances qu’ils n’ont jamais pu prendre. Et pour y arriver, elle mise sur la montée en gamme de ses produits.
Ce projet, l’agricultrice de 29 ans l’a mûri durant son long parcours, qui l’a menée du Québec à Saint-Rémy-de-Provence. En 2006, la jeune Camille s’envole vers Montréal et son HEC. De retour en France en 2010, elle est embauchée chez Lidl, où elle gère des magasins pendant trois ans. Pendant tout ce temps, l’attachement pour la ferme familiale ne l’a pas quittée. « Je savais que je voulais revenir. Mon père a mis une vie de travail à construire cette ferme. Je ne voulais pas que ça s’arrête, raconte-t-elle. Mais j’avais besoin de faire mes armes. En trois ans chez Lidl, j’ai appris autant qu’en dix ans comme autodidacte. » Son retour se fera en 2013, alors qu’une opportunité se présente pour reprendre une ferme proche. C’est Camille, à l’époque encore aide familiale, qui a la charge de ce verger de fruits à noyau de 20 ha. Une diversification pour l’exploitation qui produisait déjà des céréales et des fruits et légumes (concombres, salades, pommes et poires, vendues à des grossistes). « Dès 2013, j’ai commencé à apporter ma touche personnelle.» Trois ans plus tard, elle se lance dans les fraises en pleine terre.
De la lutte intégrée au bio. Mais pourquoi le haut de gamme ? « Grâce au climat provençal, nous pouvons produire ce que nous voulons. C’est une chance, mais ça nous a aussi desservis, car nous ne sommes pas trop remis en question. » Or, les producteurs de fruits et légumes subissent de plein fouet la concurrence internationale. Pour se différencier, « nous devons créer une identité forte sur le territoire ». Pour Camille, le haut de gamme, c’est avant tout des fruits récoltés à pleine maturité. Une évidence ?
C’est en réalité capital pour les fruits à noyau (pêches, nectarines, cerises, abricots). « Une pêche cueillie un jour trop tôt ne sera jamais sucrée, prévient la pétillante agricultrice. Ce n’est pas le cas pour une pomme, qui contient de l’amidon et peut continuer à s’enrichir en sucre après la récolte. » Elle détermine la date de récolte optimale en fonction du taux de sucre et de la fermeté des fruits. Une organisation d’envergure quand on sait que tous les fruits sont récoltés manuellement… et que la saison dure de mars (pour les fraises) à octobre (pour les pommes) ! À l’EARL Les Demoiselles, la montée en gamme passe aussi par le bio. 11 ha de maraîchage sont déjà certifiés, et le verger de fruits à pépins (40 ha) entamera sa conversion dès l’été 2017.
« C’est l’avenir, estime Camille, car les choses ne vont pas dans le sens d’un assouplissement de l’usage des produits phytos… » Heureusement pour eux, le duo d’arboriculteurs a déjà « pris des habitudes de travail qui vont dans le sens du bio». Adeptes de la lutte intégrée, ils pratiquent déjà la confusion sexuelle sur tout le verger, évitant ainsi « la majorité des insecticides». Pour lutter contre le psylle, principal ravageur du poirier, ils emploient de l’argile, autorisée en bio. En résumé, « nous peignons les arbres en blanc pour tromper l’insecte et l’empêcher de se reproduire !»
Défi alimentaire et pression foncière. Pour passer le cap du bio, il faudra toutefois « plus de réactivité» : « S’il faut traiter contre la tavelure, il faut le faire aujourd’hui, pas demain ! Ça demande plus d’organisation. » De son côté, le verger de fruits à noyau devra patienter avant de bas- culer en bio. « Il n’existe pas de moyens de lutte bio contre les maladies de conservation. Cela veut dire récolter tôt, avant qu’il y ait des risques.» Une pratique contradictoire avec la recherche de maturité. Avec sa ferme mi-bio, mi-conventionnelle, Camille refuse d’opposer les modèles: « Face au défi alimentaire qui nous attend, nous aurons besoin de toutes les agricultures.»
Dans cette région où la pression foncière est énorme, elle peut compter sur un atout maître: « Nous sommes propriétaires de nos terres. Mais nous voyons autour de nous de gros investisseurs racheter des domaines entiers en y mettant le prix, sans aucun objectif de rentabilité. C’est un fléau pour l’installation!», lance celle qui a été élue présidente des JA 13 en mars 2016. Avec son conseil d’administration, elle compte doubler le nombre d’adhérents (200 aujourd’hui). Une relance nécessaire dans un secteur traditionnellement individualiste. « Nous ne demandons pas aux jeunes de s’investir, mais seulement de nous faire remonter les informations qui les concernent. C’est comme le Coyote pour éviter les radars : plus on est nombreux, mieux ça marche !»
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