En Haute-Saône, Michaël et Brice Muhlematter étrennent leur méthaniseur couplé à un séchoir à foin. Deux investissements stratégiques pour voir la vie en vert.
«On voit des petites bulles de gaz qui remontent à la surface », lance Michaël Muhlematter en scrutant le lisier à travers le hublot. « Ça pue ! », s’étonne Brice, le frère cadet. Ce dernier s’empresse de faire le tour du digesteur et détecte une fuite. « Pourtant on a brûlé la torchère pendant six heures et le niveau de gaz est à zéro. Les ouvriers ont dû ouvrir une vanne… »
Michaël, 35 ans, et Brice, 34 ans, supervisent la mise en route du gros méthaniseur de 240 kW qui trône dans la cour. Un sacré projet pour la ferme familiale située à Mollans, en Haute-Saône, qui produit chaque année un million de litres de lait Label rouge. « Le chantier a commencé il y a un an, indique Michaël. Ça représente 1,6 M€ d’investissements.»
L’unité tourne grâce aux déchets d’élevage et à quelques cultures dérobées produites à 70 % sur l’exploitation. « Tout fonctionne bien, il ne manque plus que l’autorisation de raccordement au réseau. » Le jeune éleveur espère vendre deux millions de kW par an à EDF. « Ça fait un chiffre d’affaires de 400 000 €, à peu près ».
Une réussite familiale. Dans la fratrie Muhlematter, chacun est polyvalent tout en ayant son domaine de prédilection. «Michaël, son truc, c’est l’électricité, explique Brice. Moi, c’est le bois et la maçonnerie. Notre frère Loïc, c’est le terrasse- ment. Et Jordan (le benjamin, NDLR) fait un peu tout, même si dernièrement il s’est beaucoup occupé des vaches.» Le reste de la famille met aussi la main à la pâte via l’atelier de fabrication de fromages et yaourts créé en 2010. «On voulait diversifier nos sources de revenus (…) et voir notre produit fini, car c’est plus valorisant», ex- plique Michaël. Ainsi, la mère aide à la traite, le père assure les livraisons, la belle-sœur fait les fromages, la tante s’occupe de la vente à la ferme… et la grand-mère confectionne les confitures pour parfumer les yaourts brassés.
Car l’atelier de produits laitiers marche du feu de Dieu. «Au départ, notre objectif était de transformer 70000l de lait, raconte Michaël. Aujourd’hui on est à 200000l.» Il est loin le temps où les premiers fromages étaient stockés chez Brice «dans une vitrine-frigo». La ferme dispose désormais d’un petit magasin et «parfois, il y a la queue dans la cour », glisse Brice. « On livre une cinquantaine de points par semaine, (…) dont une vingtaine de collèges », complète Michaël. Vu le succès des 6000 yaourts élaborés chaque semaine, les Muhlematter ont élargi leur gamme. «En 2015, on a commencé à faire des flans à la vanille, au caramel et au chocolat, raconte le frère cadet en charge de la production des desserts lactés. On est passé aux arômes naturels il y a un an.»
Côté fromages, la famille Muhlematter tâche d’être à l’écoute des clients, par exemple, en ajustant le temps d’affinage et en proposant plus de tommes en période de raclette. Mais la marge de manœuvre est limitée. «Nos caves d’affinage sont trop petites», confie Brice. D’après lui, le plus difficile, c’est d’être régulier en qualité et en goût. Deux paramètres directement liés à l’alimentation du bétail. Or, depuis le 1er juillet, les vaches n’ont pas pu mâcher un seul brin d’herbe fraîche à cause de la sécheresse. «On a nourri nos vaches comme s’il y avait deux hivers», raconte Michaël.
«On a acheté beaucoup d’aliment: de la pulpe de betterave, du maïs vert qu’on ensilait tous les jours, car on n’a pas le droit aux produits fermentés. (…) Et on avait du stock de report.» Jordan, 22 ans, espère que l’hiver ne sera pas trop long :«Il faut qu’il y ait beaucoup d’herbe au printemps (…) et que nos 3ha de luzerne poussent comme prévu.»
Deux jours de gagnés à la fauche. Autant dire que le séchoir à foin arrive à point nommé. Inauguré à l’été 2017, le bâtiment de 55m de long par 28 de large peut stocker jusqu’à un an de fourrages. Le système de déshumidification et de ventilation est presque 100 % fonctionnel. Ne reste plus qu’à le raccorder au circuit de chaleur du méthaniseur. «L’objectif est d’être plus autonome et d’acheter moins d’aliments à l’extérieur», insiste Michaël. Bien qu’ayant réalisé la plupart des travaux, les frères Muhlematter ont dû investir 400000€ dans l’installation. Mais le séchoir leur donne déjà satisfaction: en seulement un an, ils ont divisé par deux la consommation de tourteaux. « Nos foins sont beau- coup plus jeunes et beaucoup plus riches, explique le jeune exploitant. On commence la fauche début mai au lieu de juin: il nous suffit de deux jours de beau temps, contre trois ou quatre auparavant.»
D’habitude, les frères Muhlematter échelonnent davantage leurs investissements. «Là, on a été un peu gourmands, reconnaît l’aîné de la fratrie. Il faudra quand même faire attention ces prochaines années.» Il promet de lever le pied avant de moderniser la fromagerie. Une idée lui trotte tout de même dans la tête: installer un petit épurateur pour transformer le méthane en gaz naturel (GNV). «L’idée, à terme, c’est de livrer nos yaourts avec le gaz et le fumier des vaches», précise Michaël. Une manière de boucler la boucle de l’autonomie. «Mes frères ne sont pas tous d’accord, mais on verra avec le temps.»
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