Rencontre avec un jeune éleveur mordu de charolaises et passionné par l’embouche. Alexandre Lorré produit une viande haut de gamme valorisée dans un supermarché local.
Un jour de 2003, le jeune Alexandre Lorré, 14 ans, se présente chez Jean Simon pour l’aider à préparer un concours d’animaux de boucherie. Il n’imaginait pas que, dix ans plus tard, cet ami de la famille lui proposerait sa ferme. Les deux hommes ne partagent aucun lien de parenté, mais « des liens d’amitié ». « Jean du Bouquin » – comme on l’appelle à Chaumot, ce village au pied du Morvan – est ami avec le grand-père d’Alexandre. À l’époque, le futur éleveur n’était encore qu’un « gamin bien élevé et qui aime les vaches».
Mais, « depuis tout petit», ce fils d’éleveur aime aussi le commerce. Par commerce, il faut comprendre l’embouche, qui consiste à acheter des bêtes sélectionnées, à les engraisser et à les vendre. « Mon père m’a donné le goût de l’élevage, Jean celui de l’embouche», résume Alexandre. Car son cédant est un personnage dans le milieu du charolais, un éleveur chevronné dont les culards ont remporté concours sur concours.
Installation progressive. Depuis son installation en 2014, Alexandre mène deux activités de front. D’un côté, un troupeau allaitant de 50 mères charolaises. Les meilleures femelles sont gardées pour le renouvellement, les mâles valorisés en taurillons d’herbe. De l’autre, l’embouche, basée sur des achats d’animaux de six mois à trois ans, principalement au marché au cadran de Corbigny (Alexandre en est le vice-président). En tout l’exploitation compte quelque 400 animaux, uniquement de race charolaise. L’origine de cette race à viande est encore mystérieuse. Mais comme leurs collègues de Saône-et-Loire, les éleveurs nivernais en revendiquent la paternité.
Les animaux achetés restent en moyenne deux ans à la ferme du Bouquin, pour être vendus à trois ans et demi, quatre ans. « Nous changeons l’allotement toutes les semaines pour adapter nos 20 lots selon l’état des bêtes. Ce qui veut dire que nous les manipulons toutes les semaines. » Gestion complexe et consommatrice de main-d’œuvre, immobilisation financière importante : l’activité d’Alexandre prend le contrepied total de l’évolution actuelle de l’agriculture. D’où son choix d’une installation progressive, qui s’est faite en trois temps depuis 2012. L’éleveur est encore en train de constituer son cheptel. Son objectif ? Atteindre 60 vêlages pour son troupeau allaitant. « Je veux conserver mes deux activités, mais si je devais choisir, j’arrêterais l’élevage », avance Alexandre sans hésiter. Car le commerce, avec ses concours, ses rencontres et ses voyages, c’est « un virus, une drogue même».
Un éleveur à contre-courant. À 28 ans et déjà deux mandats de président de JA 58 derrière lui, l’éleveur assume d’être à contre-courant. Ses voisins retournent leurs prairies pour y implanter des céréales ? Lui ressème de l’herbe. La filière viande se concentre et se spécialise dans l es animaux maigres pour l’export ? Alexandre revendique de faire « de l’artisanat, du cas par cas ». La mode est à la vente directe ? L’éleveur-emboucheur est « pour les intermédiaires, qui apportent de la richesse à la filière ». « Un intermédiaire, c’est quelqu’un qui achète un produit précis pour un client précis. Quand je vends une bête, j’espère que celui qui me l’achète gagnera de l’argent !»
Son acheteur principal, c’est le supermarché Atac de Corbigny, qui « se sert en local depuis 40 ans». Comme Jean Simon avant lui, Alexandre y livre une à trois bêtes par semaine. Un rythme « pas toujours facile à tenir » et qui freine le renouvellement du troupeau. Dans ce partenariat de longue date, « nos prix correspondent à la valeur de nos animaux». Autrement dit, c’est l’éleveur qui fixe ses prix. En contrepartie, il réserve ses plus belles bêtes à ce client privilégié, « celles qui ont de la finesse d’os et de peau, mais une musculature très développée ». Celles qui donneront une « viande tendre, qui a du goût, avec un bon grain».
Mais avant d’en arriver là, ces charolaises d’excellence auront passé des mois en prairie, avant de rentrer en bâtiment pour l’engraissement. Côté alimentation, « chaque engraisseur a sa recette secrète », glisse Alexandre dans un sourire. La sienne ? Maïs grain laminé, pulpe de betterave, luzerne déshydratée, tourteau de lin et minéraux. Le tout acheté à l’extérieur et mélangé sur place grâce à une unité de stockage créée par Jean Simon en 1976. Réseau de clients, savoir-faire : le précieux patrimoine de « Jean du Bouquin » n’est pas que matériel. « Mon ambition, c’est de perpétuer le travail de mon prédécesseur, avance humblement Alexandre. Et d’essayer de battre son record : une génisse de 800 kg de carcasse ! » De l’avis de Jean, il y parviendra sûrement. « Aujourd’hui, c’est le vieux qui est devenu l’élève ! »
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