Jonathan et Kévin Astrou transforment et valorisent 90 % de leur production fromagère sur trois marchés hebdomadaires. Même pas bio, en tout cas pas officiellement. Mais moyennant 2 x 80 heures par semaine. D’où l’emploi de la maman à mi-temps.
L’action se déroule en 2017, en France, à Serralongue (66). La précision n’est pas complètement superflue, car le modèle technico-économique développé par le Gaec Le Mouly Benc pourrait sembler appartenir à un autre temps, sinon à un autre lieu.
En 2017, en France, il est possible de dégager deux salaires (minimum on est d’accord) avec 14 vaches laitières et quatre génisses pour toute suite. Le tout en zone défavorisée de piémont pyrénéen, où le sous-bois fait beaucoup d’ombre à la prairie, avec un bagage technique minimum (Brevet professionnel responsable d’exploitation agricole), sans hériter d’une exploitation familiale (installation hors-cadre), en honorant ses remboursements d’emprunt (200 000 € fromagerie incluse) et en réalisant de nouveaux investissements professionnels (achat de terres pour Jonathan) ou personnels (maison d’habitation pour Kévin, jeune papa).
Merci les handicaps. L’histoire est-elle trop belle ? Non. Une preuve ? La Banque Populaire, qui a financé l’installation voilà cinq ans, et qui dispose donc d’un recul certain, a décerné au Gaec, début 2017, un des huit Prix nationaux de la dynamique agricole, dans la catégorie Création d’entreprise. L’histoire de Jonathan et de Kévin, 57 ans à tous les deux, est celle d’un contournement des obstacles, de tous ordres. Jonathan : « Il fallait posséder des animaux pour obtenir le permis de construire l’étable ? On a commencé par traire à la main sous une serre de fortune. »
Kévin : « La toupie à béton ne pouvait pas accéder à la ferme ? On a bétonné nous-même en réalisant de substantielles économies. » Jonathan : « Le premier inséminateur est à plusieurs heures de route ? Kévin s’est formé à l’insémination et nous avons investi dans une cuve à azote, ce qui nous permet en prime d’améliorer notre génétique à bon compte et nous évite l’entretien d’un taureau. Mon frère est aussi très fort en mécanique, ça limite les factures. » Kévin : « Pas de ramassage de lait et aucune compétence fromagère ? On a réalisé nos stages de BPREA chez des éleveurs fromagers. » Jonathan : « Le fourrage était limitant ? On donne un coup de mai n à d’autres éleveurs en échange de foin et on aménage dix parcours dans 20 ha de sous-bois. » Il ne s’agit pas non plus d’idéaliser la petite ferme dans le piémont. Les deux jeunes éleveurs n’ont aucune compétence en matière vétérinaire. « Oui, mais nos animaux ne se mélangent jamais à d’autres, ce qui réduit les risques », souligne Jonathan. Le facteur chance s’invite aussi au Gaec, quand par exemple, un éleveur voisin décide sans sourciller, retraite venue, de leur louer un bâtiment et 20 ha de parcours, ce qui permettra aux deux frères de parfaire leur autonomie fourragère, de stocker du fourrage et de garder quelques génisses pour assurer la suite. Il faut dire que les deux jeunes éleveurs, par leur activisme, suscitent le respect alentour, suc- cédant au scepticisme de départ.
Produire plutôt moins que plus. Au fil des ans, les éleveurs dépassent leurs objectifs techniques et économiques. Les compteurs à lait s’affolent. « Quand on est passé au pot trayeur, la production s’est envolée», s’émerveille encore aujourd’hui Kévin. Les compteurs horaires aussi. Car la réussite du Gaec a un prix : la charge de travail. Soin des animaux, traite, fabrication des fromages et yaourts, (voir encadré), vente sur les marchés, entretien des parcours, fenaison : la complémentarité et la répartition des tâches entre les deux frères ne font pas tout. Ils estiment leur durée hebdomadaire de travail à 80 heures chacun par semaine, 52 semaines par an. « C’est là toute la différence avec nos collègues éleveurs ovins et caprins, juge Jonathan. C’est bien pour la trésorerie mais les vaches laitières offrent peu de répit. »
Les éleveurs refusent de grouper les vêlages pour s’en tenir à des techniques naturelles, en s’offrant le luxe au passage de ne pas requérir la certification bio largement à leur portée. Victime d’une hernie, Jonathan a connu très récemment une première alerte. Un pépin une fois de plus converti en opportunité, consistant à découvrir les vertus du service de remplacement, auquel ils pourraient faire appel dans le futur pour s’accorder des vacances. En attendant, les deux jeunes éleveurs s’apprêtent à embaucher leur mère à mi-temps, sans pour autant produire plus. « Notre système est éprouvé et on ne veut pas en changer, affirme Kévin. On n’exclut pas de produire moins par contre, quitte à revaloriser légèrement certains de nos produits, dont le prix n’a pas varié depuis le départ. »
Pour Jonathan et Kévin, cette embauche est aussi une marque de reconnaissance pour leurs parents Marie et Jean-Claude, lesquels n’avaient pas hésité à vendre leur résidence pour acquérir le mas hébergeant toute la famille et l’exploitation de leurs garçons.
Continuer la lecture...