Rapport de la Cour des comptes sur l’installation – Interview d’Arnaud Gaillot
Le 12 avril dernier, la Cour des comptes rendait un rapport sur la gestion des aides à l’installation des nouveaux agriculteurs, sur demande de la commission des finances du Sénat. Un rapport qui pose un constat : il faut améliorer les dispositifs pour accompagner les porteurs de projet et en particulier les néo-agriculteurs. Une analyse partagée par Jeunes Agriculteurs depuis de nombreuses années.
- Jeunes Agriculteurs et le renouvellement des générations en agriculture, un sujet primordial pour le syndicat. Pourquoi ?
En effet, et ce, depuis la création du syndicat. Nous sommes face à une chute démographique des agriculteurs qui s’accélère depuis les années 50, nous faisant passer de 2,5 millions d’actifs en 1955 à 496 000 en 2020 (dont 389 000 en métropole). Il est urgent à la fois de créer un « choc d’attractivité » à destination des plus jeunes mais aussi de moderniser nos métiers pour répondre aux défis du renouvellement des générations, du dynamisme de nos territoires ruraux et de l’adaptation au dérèglement climatique.
200 000 agriculteurs, soit la moitié des actifs métropolitains, doivent être remplacés dans les quelques années à venir du fait des départs à la retraite. Nous allons faire face à une véritable hémorragie. Pour maintenir un nombre d’agriculteurs stable, nous devons anticiper ces départs et travailler à faciliter davantage la transmission à des jeunes. JA a toujours eu pour objectif de faciliter ce renouvellement, d’accompagner et de soutenir les futurs agriculteurs dans leur installation.
Nous nous réjouissons, par ailleurs, que ce sujet soit entendu par les pouvoirs publics et qu’une grande concertation (PLOAA) ait été engagée pour prendre des orientations qui permettent de supprimer les freins à l’installation. Jeunes Agriculteurs est prêt à proposer ses solutions et son expertise pour inverser la tendance.
- Le rapport de la Cour des comptes pointe du doigt l’inefficacité des mesures pour favoriser l’installation des nouveaux agriculteurs en termes de pilotage et d’évaluation. Comment le syndicat JA réagit-il à cette conclusion ?
Nous nous inscrivons en grande partie dans le constat réalisé par la Cour des comptes. Les conclusions du rapport reprennent des points et des inquiétudes que nous avons déjà soulevés de nombreuses fois. Il est indéniable qu’il faut faire évoluer l’accompagnement des nouveaux agriculteurs.
La régionalisation de la gestion des aides à l’installation est maintenant une réalité qui implique une forte disparité dans l’offre de services et d’aides entre les territoires. Il nous faut une vision nationale si on veut relever le défi pour le pays. C’est pourquoi, la recommandation de mettre en place un réseau d’observatoires régionaux pour alimenter l’observatoire national de l’installation nous semble indispensable, afin de suivre l’efficacité des politiques, comme le préconise la Cour des comptes.
Nous sommes déterminés à travailler avec les pouvoirs publics et les acteurs concernés pour faire de cet observatoire un outil de pilotage pertinent pour assurer les bonnes orientations de nos politiques agricoles.
- Dans les préconisations du rapport, il est évoqué la nécessité de renforcer l’accompagnement des cédants avec des mesures spécifiques. Qu’en pensez-vous ?
La transmission est le parent pauvre des politiques agricoles. Nous le mettons en avant depuis longtemps, c’est pourquoi, c’est une thématique sur laquelle nous avons particulièrement travaillé ces dernières années [NDLR : voir le livre blanc sur la transmission de JA].
Un dispositif pour la transmission, tel que nous le concevons, prendrait la forme d’un suivi complet, du projet d’installation en agriculture, , voire de l’idée, jusqu’à la transmission, donc tout au long de la carrière. Il s’appuierait sur un outil que nous appelons de nos vœux : le Point Accueil Formation Installation Transmission[1] (PAFIT), une transformation des Points Accueil Installation (PAI) pour permettre un suivi de A à Z par un guichet unique regroupant l’intégralité des acteurs du renouvellement des générations d’agriculteurs. Il s’agit de gagner en efficience. Cet accompagnement doit être un vecteur de professionnalisation pour tous les intéressés, quelle que soit la maturité de leur projet.
Les structures partenaires doivent représenter tous les modèles d’agriculture, comme le préconise le rapport.
- Il est aussi préconisé de renforcer des mesures concrètes comme le répertoire départ installation (RDI). Quelle vision porte Jeunes Agriculteurs ?
Bien sûr que nous devons renforcer, mais surtout moderniser le RDI. Un outil qui doit être attractif et facilement accessible pour les cédants et repreneurs. Il nous faut une plateforme en ligne moderne, public et fiable, pour répertorier toutes les fermes à céder, les repreneurs et centraliser les informations. Les données utilisées devraient s’appuyer sur la déclaration d’intention de cessation d’activité agricole (DICAA) qui permet le repérage des exploitations sur le marché.
Avoir ces informations permettrait de mieux évaluer les évolutions pour être plus en adéquation avec les réalités du terrain et les projets de reprises. Il faut être capable de mieux accueillir, mieux parler aux personnes non-issues du milieu agricole. Ces outils concrets et simples sont une première étape importante pour faciliter l’entrée des nouveaux agriculteurs dans leur installation.
- Le Président de la Cour des comptes pointe une faille dans le système qui ne prendrait pas suffisamment en compte les plus de 40 ans, alors que les profils en reconversion sont de plus en plus nombreux. Que pensez-vous de la proposition d’élargir l’aide en leur faveur ?
Historiquement les aides à l’installation visent les jeunes car ils sont plus susceptibles d’avoir un capital financier moins élevé et d’être plus fragile économiquement. Il faut surtout attirer plus de jeunes. L’aide en question fonctionne sur une enveloppe restreinte de la Politique Agricole Commune et la diluer serait donc contre-productif.
Je rajoute que les personnes de plus de 40 ans bénéficient déjà d’un accompagnement par ailleurs, sur d’autres fonds.
- Le dispositif d »installation doit être encore davantage renforcé. Comment envisagez-vous une amélioration de cette politique pour attirer les nouveaux agriculteurs en France ?
Autant dans la façon que nous le percevons que dans l’accompagnement, l’accès au métier doit enfin rentrer dans le XXIème siècle. Plus moderne, plus écologique, plus vivable et plus économiquement viable. C’est ce que nous appelons les agricultures durables, dans leur diversité. Il faut collectivement raconter une nouvelle histoire pour notre secteur et expliquer le cap que l’on donne.
En ce sens, le Pacte et Loi d’Orientation et d’Avenir Agricoles, annoncé par le Président de la République lors des Terres de Jim 2022 était un moment de concertation attendu depuis longtemps par Jeunes Agriculteurs. Nous travaillons avec les pouvoirs publics et toutes les parties prenantes pour réussir à mettre en place l’agriculture de demain.
Au-delà de l’accompagnement à l’installation, nous accordons une grande importance à l’accompagnement des porteurs de projets aux défis du changement climatique. Il est essentiel qu’ils aient une vision claire et réaliste de leur future entreprise, basée sur des données fiables.
Nous proposons des outils d’avenir dès l’installation comme un diagnostic de l’exploitation intégrant la durabilité sociale, économique et environnementale pour repérer les points faibles dans un projet, ou une exploitation à reprendre et ne pas envoyer de jeunes dans le mur.
Fini le temps de l’exploitant isolé, qui gagne peu, sans considération pour l’environnement et qui ne part jamais en vacances. C’est une caricature, mais qui veut de cela aujourd’hui ? Il faut se baser sur un autre outil en renforçant le plan d’entreprise, qui était un bon premier pas pour professionnaliser les jeunes au moment de sa création. Nous proposons de le rendre plus transversal en prenant en compte les 3 piliers de la durabilité : économique, social et environnemental.
La crise que nous traversons est l’occasion de mettre à plat les outils existants. Jeunes Agriculteurs propose des solutions pour participer à leur amélioration. Cette période charnière est une chance de pouvoir écrire une nouvelle page, celle d’une agriculture centrale pour le pays par ses missions : nourrir les populations, faire vivre nos territoires, protéger pragmatiquement notre environnement et maintenir l’attractivité de notre ruralité.
[1] Proposition présentée dans notre « Rapport d’orientation 2020 »
ro-2020-amende-1.pdf (jeunes-agriculteurs.fr)
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