Panneaux solaires sur terres agricoles : la fausse bonne idée

La lutte et l’adaptation contre le dérèglement climatique sont les défis incontournables de ce siècle, en particulier pour l’agriculture qui vit et affronte une double crise démographique de surcroît. Nous devons collectivement limiter le réchauffement à 2 °C maximum. Après la crise sanitaire, qui a remis la lumière sur la nécessité d’une souveraineté alimentaire, la guerre en Ukraine a aussi bouleversé l’approvisionnement en énergies, pointant nos fragilités en la matière et faisant exploser les factures.

Bref, il faut se retrousser les manches pour préserver notre planète et notre indépendance. Les agriculteurs doivent aussi y prendre leur part et ne pourront pas se cacher derrière leur petit doigt. Nous, nouvelles générations, devons construire le compromis difficile entre production alimentaire, préservation de nos terroirs, attractivité du métier et révolution écologique.

Parmi tous les fronts qui s’ouvrent devant nous, il y a celui du développement des énergies renouvelables dont le Gouvernement vise une accélération par un projet de loi en cours d’examen. Là aussi l’agriculture, qui est une solution face au changement climatique, joue un rôle : les nombreux bâtiments agricoles offrent un vrai potentiel pour le déploiement de panneaux solaires. En parallèle,  des projets ambitieux et équilibrés de méthanisation peuvent émerger. Il le faut !

Mais, sous couvert de la Programmation Pluriannuelle de l’Energie, une petite musique se fait entendre. Le mix énergétique inclut le développement de panneaux photovoltaïques partout où nous pouvons : toits, parkings, bords de route et… devrait aussi se faire sur les sols agricoles qui représente une solution simple et plus rentable. Il vise même l’objectif en 2028 de 25 GW de production par des panneaux au sol et 19 GW pour les panneaux sur toiture.

Bien sûr, cela semble évident. Presque la moitié de la superficie de la France étant de la surface agricole, nous avons de la place pour en poser. Qui plus est, de nombreuses exploitations sont en difficulté économique et rééquilibreraient leurs comptes grâce aux revenus issus de la production d’énergie. Cela semble parfait. Ce serait en fait une catastrophe.

D’ici la fin de la décennie, la moitié des agriculteurs aura l’âge de partir à la retraite. Cette donnée que nous répétons inlassablement trouve ici une dramatique expression. Lorsque ces 200 000 exploitants devront préparer leur cession, ils le feront dans un contexte où l’Etat et les énergéticiens cherchent par tous les moyens à installer des panneaux sur leurs terres alors qu’eux-mêmes souhaitent partir en retraite dans de bonnes conditions, avec un complément de retraite à portée de mains !

Le risque est ici de faire basculer l’agriculture vers un modèle de fermes solaires, détournées de leur vocation nourricière, et à des prix exorbitants pour des jeunes qui souhaitent s’installer. Voire pire : trouver en France des champs immenses de panneaux photovoltaïques comme nous en observons chez nos voisins espagnols que je n’envie pas. L’effet levier serait massif puisque la vague de départs à la retraite, qui représente un quart des terres agricoles du pays, s’associe à une tendance à la concentration d’exploitations qui deviennent de plus en plus grande au détriment de fermes à taille humaine. Il est impératif d’anticiper la transmission de centaines de fermes qui pourraient être déviées de leur vocation première.

Pour gagner la bataille écologique, il faut d’abord gagner celle de la démographie agricole, pour préserver un secteur qui demeure une grande partie de la solution tout en assurant la production de denrées alimentaires. Il faut encourager un maximum de jeunes partout sur les territoires à rentrer dans ce métier, à se former et à innover dans la production durable de notre alimentation. Il faut améliorer le système pour qu’il rémunère vraiment dans toutes les filières, plutôt que de nous faire croire que les panneaux représentent son avenir.

J’encourage tous les Français à bien vouloir comprendre ce qui se joue et nous soutenir dans la demande d’interdiction des panneaux solaires sur terres agricoles, lorsqu’ils ne sont pas de l’agrivoltaïsme. Priorisons leur installation, rapide mais raisonnée, partout ailleurs et, dans nos fermes, lorsqu’elles peuvent apporter un service à la production agricole, dans ce qu’on appelle l’agrivoltaïsme, à condition que ce soit dans une définition très stricte et claire.

Il serait inconséquent de prendre les terres agricoles pour un Eldorado du photovoltaïque, car ce serait au détriment de notre alimentation, de nos paysages et du métier d’agriculteur. Apprenons de nos erreurs passées en ne faisant plus des choix à regret pour notre avenir. Une posture qui devra nous guider pour élaborer un pacte d’orientation et d’avenir agricole ambitieux dont le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire vient d’annoncer le lancement d’une concertation pour les six mois à venir.


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