En Alsace, le roi maïs bousculé par la Pac

Dans la Hardt, entre l’Ill et le Rhin, le maïs régnait sans partage depuis des années. Le climat y est aride, les nuages venant de l’Ouest dépassent rarement les Ballons des Vosges. Les débordements du Rhin ont laissé des sols superficiels. « Sans irrigation, rien ne pousse ici, résume Pierre Meyer, maïsiculteur à Dessenheim depuis 2013. Avant, les paysans de la Hardt étaient pauvres, leurs enfants ne reprenaient pas leurs fermes. Puis dans les années 70, l’irrigation est arrivée. » « La monoculture de maïs ici a un sens », lance Pierre. Sous le soleil de Dessenheim, le blé est à la merci de l’échaudage. Le maïs, lui, « réussit très bien dans nos sols légers ». Les agriculteurs optimisent son potentiel de rendement grâce à l’usage de variétés tardives et à des semis précoces dans ces terres qui ressuient vite. « Le maïs est l’une des seules plantes qui réussit en mono-culture sans recrudescence des maladies », ajoute-t-il. Et surtout, l’irrigation sécurise les rendements : « On ne risque pas des gamelles à -50 % de production comme en blé. Les mauvaises années, les rendements chutent au maximum de 5 à 10 %. »

Le séchage, « la charge la plus importante ». Avec une moyenne de 123 qx/ha en 2016, le Haut-Rhin détient la palme du rendement en maïs grain irrigué. Un potentiel qui peut même atteindre 140 à 145 qx selon Pierre. Présence de débouchés dans l’amidonnerie, spécialisation du maté-riel… Dans la Hardt, « les agriculteurs ont tout misé sur le maïs ». Pour optimiser cette culture, ils ont développé le séchage en cribs : les épis sèchent entiers à l’air libre dans ces grandes cages grillagées – celles de Pierre et de son père font 200 m de long. Le père et le fils ont chacun leur exploitation, mais ils travaillent en commun. Le séchage du maïs constitue « la charge la plus importante », note le fils, « autour de 300 €/ha ». Avec un prix de l’énergie élevé et des cours des céréales déprimés, le crib retrouve de l’intérêt. « Aujourd’hui, le prix du maïs rendu dans nos fermes est de 150 à 155 €/t. Avec un séchage thermique, il faudrait 180 €/t, le revenu est nul depuis trois ans. Avec les cribs, nous arrivons à tirer un revenu. C’est grâce à ça que je me suis installé sur 70 ha, une surface plutôt petite pour le secteur. »

Chez Pierre et son père, 80 % de la récolte passe dans les deux cribs.

Le maïs ne doit pas être trop sec, sans quoi les grains tombent. Cette technique demande plus de travail et de matériel. Il faut avant tout construire un crib (1 200 €/ha). La récolte se fait au cornpicker (une automotrice qui effeuille les épis sans les égrainer). Il faut enfin le matériel pour remplir et vider le crib (bandes) et pour égrainer les épis une fois secs.

Automatiser l’irrigation. Autre axe d’optimisation : l’irrigation. « Nous avons la chance d’avoir sous les pieds la plus grande nappe phréatique d’Europe. Avec 200 m d’épaisseur d’eau, il n’y a pas de restrictions. » Chez les Meyer, toute la surface labourable est irriguée. Depuis son installation, le grand chantier de Pierre c’est d’automatiser l’irrigation. Les deux maïsiculteurs disposaient de neuf enrouleurs. Une technique contraignante, avec de nombreux déplacements en saison, « parfois de 5 h 30 du matin jusqu’à minuit ». Mais l’automatisation était empêchée par la forme des parcelles et la présence d’obstacles (ligne électrique, crib). Après un échange de parcelles avec un voisin, Pierre a réussi à installer un pivot et trois rampes. Ces outils couvrent la moitié de la surface. Des investissements lourds (environ 30 000 € pour un pivot, le double pour une rampe). En contrepartie, « j’ai réduit ma consommation d’électricité de 30 % dans une parcelle », se félicite Pierre. L’irrigation peut toutefois être à double tranchant, car il faut obtenir des rendements supérieurs pour en amortir le coût.

La chrysomèle en 2010, puis la Pac en 2014 sont venues perturber le règne du maïs alsacien. Le verdissement a imposé la diversification des cultures : une production ne doit pas dépasser 75 % de la surface d’une exploitation. Les producteurs de maïs ont négocié avec Bruxelles de pouvoir continuer la monoculture à 100 % en échange de la couverture hivernale des sols. « Une mesure adaptée aux Landes, mais pas chez nous où la structure des sols se fait par le gel », regrette Pierre, secrétaire général de JA 68 et vice-président de JA Grand Est. Le maïsiculteur s’est donc fait producteur de tournesol semence et de soja pour l’alimentation humaine. Une diversification qui trouve ses limites, selon lui : « Les cours des céréales évoluent dans le même sens : le prix du tournesol est indexé sur celui du maïs, avec une plus-value. » ◆


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